Témoignages
Témoignage : Quand un bon jugement peine à défaire la mauvaise foi (Bail rural / CAJ de l'ain)
06/06/2014
Témoignage : Quand un bon jugement peine à défaire la mauvaise foi (Bail rural / CAJ de l'ain)
06/06/2014
Un membre de l'équipe de l'Ain raconte comment il a assisté avec succès un fermier devant le Tribunal paritaire des baux ruraux mais que ça ne suffit pas à régler la situation sur le terrain. Ce n'est heureusement pas la majorité des situations. Mais cela conforte la méthode de travail du CAJ qui s’attache à mêler action judiciaire et action de terrain.
"Mathieu est exploitant depuis 2005 sur l'exploitation qu'il a reprise de ses parents. Il élève des vaches allaitantes et produit aussi des céréales. L'exploitation est pour l'essentiel en location de plusieurs propriétaires.
Depuis quelques années les relations avec l’un des propriétaires sont tendues. Ce propriétaire conteste à Mathieu une partie d'une des parcelles qu'il lui loue car l’extrémité de cette parcelle bordant la voie publique est aussi le seul accès à sa maison et à deux autres constructions. Pourtant Mathieu ne s'est jamais opposé au passage des habitants sur cette partie de sa parcelle.
Début 2012, le propriétaire conteste la qualité de fermier et enjoint Mathieu de lui prouver qu'il est bien locataire de ces parcelles. Il barre régulièrement l'accès et finit par poser une chaîne, bloquant l'accès de la parcelle.
Mathieu se tourne alors vers le CAJ de l’Ain, afin de l’aider à faire reconnaître ses droits de fermier.
A l'automne 2012, devant l’impossibilité de trouver une solution amiable, il est décidé que Mathieu saisisse le Tribunal Paritaire des Baux Ruraux (TPBR) pour demander que soit mis fin à cette entrave et que lui soit reconnu un bail sur ces parcelles. Dans le même temps le propriétaire saisit aussi le TPBR pour contester le bail verbal et pour dénoncer une mauvaise exploitation du fond.
Le CAJ de l’Ain, aidé par un juriste du CAJ régional, accompagne Mathieu dans la constitution de son dossier pour le tribunal : preuves de la location de la parcelle, témoignages sur le bon entretien, etc.
Une première audience de conciliation est convoquée au tribunal en décembre 2012. En tant que bénévole référent du dossier, j’assiste Mathieu. Nous rappelons le contexte et notre demande de confirmer le bail. Le propriétaire argumente sur le mauvais entretien et l'occupation sans titre. Le juge conclut rapidement à l'impossible accord et renvoie à une audience de jugement.
Entre les deux audiences, chaque partie rédige ses arguments (conclusions) et se les communique. Avec les conseils du juriste du CAJ et de l'équipe départementale, Mathieu rassemble toutes les pièces nécessaires à la défense de son affaire.
L'audience de jugement a lieu en avril. J’y assiste Mathieu : il commence en rappelant sa situation, je poursuis en demandant la reconnaissance du bail et la nullité du congé pour mauvais entretien.
Le représentant du propriétaire avance aussi ses arguments. Le juge professionnel et les juges assesseurs (des non-professionnels du droit) examinent attentivement les plans, nous demandent des précisions sur la configuration de la parcelle qui dessert aussi les maisons.
Le jugement est rendu en mai. Mathieu est reconnu titulaire d'un bail à ferme à la suite de ses parents depuis 2005. Le mauvais entretien n'est pas retenu et le propriétaire est condamné à une indemnité financière.
Malheureusement, le propriétaire continue de contester l’usage par Mathieu de la portion de parcelle qui permet l’accès aux maisons, arguant que le tribunal n’a pas spécifié qu’elle faisait partie du bail. Ce n’était pourtant pas nécessaire : cette portion fait partie d’une parcelle cadastrée et le tribunal a dit que le bail portait sur cette parcelle en l’identifiant par son numéro de cadastre !
Le CAJ de l’Ain continue donc à suivre la situation pour trouver une solution qui mettrait définitivement les deux parties d’accord. Il est entre autres envisagé de demander au tribunal de préciser son jugement en faisant un recours en interprétation. En espérant que cette fois le propriétaire en accepte l’issue…"
Alain Millet, membre du CAJ de l’Ain