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Tenace et assisté par le CAJ, un fermier obtient la révision de son loyer et crée une jurisprudence importante pour le bio

29/10/2015

Le témoignage de Guy Perret, militant de l’Association des Fermiers Drômois puis du Comité d’action juridique, qui a assisté les fermiers dans un combat judiciaire éprouvant mais aux retombées positives et collectives.

Début 1993, christian et son épouse s'installent en fermage sur une exploitation fruitière : maison d'habitation, bâtiments d’exploitation et près de 6 ha de terres en grande partie plantées (pêchers, poiriers, pommiers, abricotiers). L'exploitation est certifiée « agriculture Biologique » et les fermiers la maintiendront.

Vers la fin de son premier bail, Christian réalise que son fermage ne correspond pas aux barèmes en vigueur dans la Drôme : il est au moins deux fois trop élevé. Il contacte alors l'Association des Fermiers Drômois (AFD). Après une tentative infructueuse de négociation avec son bailleur, il décide de saisir le Tribunal Paritaire des Baux Ruraux (TPBR) dans le mois qui suit le renouvellement du bail (janvier 2002) sur la base de l'article L.411-50 du code rural pour fixer les conditions du bail renouvelé et notamment le montant du loyer.

Alors que l'article L.411-50 ne prévoit pas de délai pour agir en fixation des conditions du nouveau bail, le TPBR puis la Cour d'Appel jugent irrecevable l'action du fermier. La Cour d'Appel impose cependant au bailleur des travaux d'amélioration de la maison d'habitation, jugée insalubre selon un rapport de la DDASS réalisé à la demande du fermier (réfection de l'installation électrique, travaux de toiture, changement d'huisseries, etc.)

En 2004, le fermier revient devant le TPBR pour faire réviser le prix, cette fois sur le fondement de l’article L.411-13 du code rural, qui permet d’agir au cours de la 3ème année du bail initial ou renouvelé. En 2005, le TPBR rejette la demande en estimant que le fermier n'apportait pas de preuves suffisantes montrant que le prix du fermage était supérieur de plus de 10% par rapport à la valeur locative de la catégorie du bien concerné. Nous avions présenté une évaluation du fermage réalisée par des bénévoles de l'AFD mais elle n'a pas été retenue.

Christian et son épouse font appel de ce jugement et produisent cette fois une expertise réalisée par un expert foncier agricole. En 2006, la CA de Grenoble confirme la recevabilité de la demande et désigne un expert judiciaire pour évaluer le montant du fermage.

Après plusieurs changements d'experts (3 ou 4 désistements), le rapport d'expertise est rendu début 2009. En mars 2010, soit presque cinq ans après le jugement de 1ère instance, la Cour d'appel refuse la révision du prix du fermage. Selon elle, l'exploitation louée doit être considérée comme une exploitation spécialisée en raison de sa certification AB lors de la conclusion du bail. Elle conclut que les arrêtés préfectoraux ne lui étaient donc pas applicables. Ces arguments-là avaient été largement développés par la partie adverse et par une expertise que nous considérons comme partiale.

Les fermiers forment un pourvoi en cassation contre cet arrêt. En effet, il ne parait pas légitime que les fermiers paient un fermage plus élevé en raison de la certification AB puisque celle-ci est le résultat de leur travail !

Par un arrêt du 13 juillet 2011, la Cour de Cassation casse la décision de Grenoble au motif que, dès lors que les arrêtés préfectoraux prévoient des minimas et maximas pour les productions concernées, ils doivent être appliqués, même aux exploitations en agriculture biologique. Elle renvoie donc les parties devant la Cour d'appel de Grenoble autrement constituée pour fixer le montant du fermage.

C’est ainsi que les fermiers obtiennent en 2014, une révision à la baisse de plus de 50% de leur loyer et le remboursement par le bailleur, dans le délai d’un an, d’un indu de plus de 40 000 euros. Les bailleurs ont été condamnés aussi aux entiers dépens (expertise et autres frais) et à verser aux fermiers une indemnité de procédure de 2000 euros.

Quelles conclusions tirer aujourd'hui maintenant que les différentes actions entreprises sont arrivées à leur terme ?

On ne peut qu'être frappé par le temps judiciaire : 13 ans se sont écoulés entre la 1ère saisine du TPBR et le versement de l'indu. Mais c’est tout de même un cas exceptionnel dû à de nombreux recours (deux premières instances, deux appels, une cassation, un renvoi après cassation).

La persévérance des fermiers a payé, car en de nombreuses occasions ils auraient pu baisser les bras. En effet, de telles procédures nécessitent un réel investissement sans être sûr du résultat : temps passé, coût des expertises, de l'avocat spécialisé devant la Cour de cassation.

Mais l’arrêt de la Cour de cassation constitue une jurisprudence nationale qui a des retombées collectives. Il fait avancer des droits : auparavant, on pouvait avoir des doutes sur le montant des fermages en cas de production biologique. On a maintenant un arrêt auquel on peut se référer.

Pour moi, qui ai assisté ces fermiers tout au long de ces longues procédures, ce fut une expérience personnelle enrichissante. J'ai pu appréhender les dédales et les lenteurs de la justice, la difficulté pour faire prendre en compte les réalités, mais aussi le côté subjectif de certaines décisions de justice. Il n'en reste pas moins qu'il y a la satisfaction d'une issue positive et collective. Je dois dire aussi que mon engagement a été facilité par la confiance que les fermiers m'ont accordée en même temps qu’ils faisaient confiance à l'AFD, puis ensuite au CAJ.

Guy Perret,
Comité d’action juridique de la Drôme


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